Ces personnes qui vont chercher le meilleur en elles !
Les 20 et 21 septembre s’est tenue la deuxième édition du festival "C’est pas du Luxe !", une initiative originale et audacieuse où la pratique artistique fait levier à des personnes en grande fragilité pour se reconstruire et relever la tête…
La culture, "C’est pas du Luxe !" ni un supplément d’âme, pas plus qu’un artifice. La pratique artistique s’est ainsi nichée au cœur d’une démarche sociale initiée par la Fondation Abbé Pierre et la Scène nationale de Cavaillon pour créer - puis rééditer - un festival décapant et joyeux… mais surtout, "un ingrédient essentiel pour ne pas succomber au désespoir" comme le disait Vincent Delahaye, le directeur de l’association d’accueil et d’accompagnement Le Village, une structure elle aussi aux origines de ce projet.
Le tout début de l’aventure, ce sont des initiatives isolées, ici ou là, nées de rencontres, d’intuitions ou de projets plus structurés. Parmi elles, aux portes d’Avignon, l’implication de l’équipe de la Scène nationale à la Pension de Famille de Cavaillon. Jean-Michel Gremillet, directeur de l’établissement culturel, se souvient : "Imaginer un jumelage entre les artistes que nous invitions et les personnes accueillies dans cette Pension nous a paru relever d’une évidence". D’autant, comme il le souligne "qu’il y avait un intérêt certain à la Fondation Abbé Pierre" pour une telle démarche.
Effectivement, la Fondation est attentive à ces projets "destinés à ces personnes désocialisées, déconstruites pour lesquelles l’action sociale est sans effet" comme le reconnaît Patrick Chassignet, véritable cheville ouvrière du festival vauclusien. Aussi, l’idée d’essaimer et de promouvoir ces actions s’installe lors d’un séminaire qui se tient à Gennevilliers (92) en 2006. On y estime qu’il est temps de fédérer les énergies au-delà du cercle des acteurs sociaux et de le faire savoir. "Sortir de la nasse du travail social" ose Vincent Delahaye. Les pratiques culturelles et artistiques "permettent d’être dans une dynamique de vie, et non de survie, de construction, et non de réparation. D’émancipation", complète-t-il. L’embryon du festival est déjà là…
On retiendra que "C’est pas du Luxe !" repose sur quatre piliers : valoriser les œuvres en elles-mêmes, générer des créations in situ "en temps réel", produire des temps d’échanges et de rencontre, associer au festival des artistes reconnus impliqués. Pour les artistes qui s’ignoraient, "c’est important de présenter aux habitants, qu’ils voient, qu’ils nous voient. Quand on présente quelque chose, on nous regarde, on nous parle" admet Renée, résidente de la Pension de Famille de La Grand Combe (30).
Pour autant, tout n’avait pas été si simple. D’abord indésirable à Cavaillon, la manifestation ne s’est installée au Thor que grâce à la ténacité d’un maire, Jacques Olivier, qui y voyait "un acte politique face aux évolutions sociétales inquiétantes et notamment aux tentations extrémistes". Dès lors, "l’ouverture était non seulement possible mais elle était nécessaire". Encore a-t-il fallu affronter des résistances parfois virulentes : "Nous avons lu ou entendu des propos terribles prétendant que des milliers de SDF allaient s’abattre sur la ville !" s’indigne le Maire.
Les promesses de la première édition ont cependant conduit à en imaginer une deuxième, le festival ayant été admis par les autochtones « même s’ils reste des résistances à dissiper ». Et le cru 2013 a montré une belle dynamique : 400 artistes et accompagnants, plus de 30 projets artistiques différents, 4000 personnes au bas mot dans le public…
Il est impensable de ne pas voir un avenir à un tel évènement qui a fait baptiser le Thor "capitale mondiale de l’humanité" par un Jean-Michel Gremillet enthousiaste. Même si l’histoire reste à écrire par les personnes accueilles elles-mêmes. Patrick Doutreligne, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre, donne déjà un cadre, en citant le (déjà) regretté Albert Jacquard : "Tout le monde a un potentiel extraordinaire, mais tout le monde ne l’exploite pas". À ce rythme, cela ne va pas durer.
Trois questions à Jean-Pierre Gilles, membre du Conseil d’administration de la Fondation Abbé Pierre
Pourquoi la Fondation Abbé Pierre, qui est à l’origine engagée sur la question du logement, investit-elle le champ de la culture ?
Tout d’abord, parce ce que le logement ce n’est pas tout… S’il n’y a pas d’environnement favorable en matière de santé, d’éducation, de culture et bien sûr de travail, il n’y a ni équilibre ni épanouissement personnel. L’être humain ne peut pas se satisfaire uniquement des besoins essentiels que sont un abris et de la nourriture. Il a besoin d’aimer, de s’exprimer. Il a besoin d’être…
Cette manifestation permet-elle aux regards de changer ?
Ce serait présomptueux de le dire. Une expérience comme celle-là, permet aux personnes qui participent de dépasser leurs peurs, de susciter l’échange, de provoquer la réaction. Mais pour vraiment changer le regard et aller au-delà du rejet de l’autre, il faudrait que l’initiative se renouvelle à moyen et long terme.
En quoi les acteurs du monde culturel et les artistes peuvent contribuer à ce changement de regard ?
Ils apportent un regard qui peut déranger, bousculer, choquer et, en même temps, poser question. Ils permettent bien souvent de porter un regard sur la vie teinté d’espérance. Et notre époque en est dépourvue. Leur investissement dans ce type de pratiques altenatives est donc essentiel.