Rendons justice au logement social
Découvrez le dossier du journal trimestriel "Et les autres ?" du mois de juillet 2016.
Près de 2 millions de ménages attendent un logement social. Outre la pénurie de l’offre, le demandeur est souvent confronté à un système d’attribution complexe et peu lisible. Production de logements sociaux insuffisants, rigidité du système, quartiers relégués… Le logement social joue pourtant un rôle déterminant qui évolue et doit encore évoluer.
Michael vit à Guyancourt (78) depuis sa naissance. À 33 ans, il a vécu avec ses parents et son frère en appartement puis en pavillon. Aujourd’hui, il est locataire accédant à la propriété. « J’ai grandi ici. Au début, on était près de la gare. Puis, mes parents ont fait une demande pour un pavillon. Ils ont attendu 5 ans et on s’est finalement installé près de la mairie. J’ai toujours été attaché à cette ville où il y a tout. Des espaces verts, des commerces, des services, avec Paris tout proche. Je voulais vraiment y rester. En même temps, acheter à Guyancourt, c’était impossible. »
À plus de 200 000 euros le F2, avec un salaire qui le place pourtant dans la classe moyenne, Michael se contentait de rêver. « Et puis, je suis tombé sur le premier projet social immobilier de Guyancourt qui permettait aux jeunes couples et aux célibataires de devenir propriétaires ». Calculs financiers, entretiens, évaluation du prêt auprès de sa banque… Michael a préparé sa candidature et rencontré le bailleur et le promoteur de l’opération. 3 ans plus tard, il vit dans un deux-pièces de 80 m2 tout neuf avec 43 m2 en rez-de-jardin et une place de parking. Le tout pour 611 euros/mois. « Pour moi, c’est une belle réussite. J’ai emprunté sur 25 ans ; j’ai pu validé mon acquisition auprès du bailleur au bout de 6 mois de loyer pris en compte dans l’achat. Je suis fier de ce projet-là. Finalement, par rapport au prix du marché, j’ai économisé près de 60 000 euros. Et je suis dans un quartier que j’aime et dans la ville que j’ai choisie. » Dans l’immeuble, les 30 appartements ont vite trouvé preneur. La population est jeune. Aujourd’hui, Michael a une compagne et sera bientôt papa. « Je ne voulais pas répéter le schéma de mes parents. Pour moi, être propriétaire, c’est une garantie pour mon avenir. »
François Deligné, maire de Guyancourt, envisage 30 à 32 000 habitants sur sa commune en 2030. La ville, bâtie dans les années 70 à l’ouest de Paris, reste caractérisée par sa pyramide d’âges atypique. « La moyenne d’âge est de 30 ans. Il y a beaucoup de familles monoparentales, d’étudiants, de jeunes ménages. Nous avons favorisé la mixité sociale au sein même des opérations de construction dès les années 80 car au-delà de la loi SRU, il faut équilibrer le peuplement dans chaque quartier. Dans l’ancien, c’est plus long, il faut près de 40 ans pour modifier un quartier ou le remodeler… » Guyancourt affiche 50 % de logements sociaux, ce qui est loin d’être le cas de certaines communes voisines. « Favoriser la mixité, c’est d’abord faire respecter la loi SRU partout, sinon on créait des villes de riches et des villes de pauvres », affirme le Maire.
Un logement choisi
C’était le 12 décembre 2014. Déborah s’en souvient très bien, elle et son mari étaient les vedettes de la presse locale. « Nous étions les seuls à avoir bénéficié de la location active. Nous avions vu l’annonce sur internet et deux mois plus tard, nous nous installions dans un duplex de 90 m2 ! Dans le quartier dont nous rêvions, tout près de l’école de notre fille, en plein centre-ville. » En rez-de jardin, avec 3 chambres et un balcon à l’étage, le couple et ses deux petites filles est toujours aussi enthousiaste et conscient de la chance qu’il a eue de pouvoir s’installer ici. « Nos voisins de palier, devenus des amis, nous ont dit qu’ils avaient attendu ce logement pendant 2 ans. Pour nous, tout s’est passé vraiment vite. Nous avons vu l’offre et nous avons tout de suite pris contact avec le bailleur. Nous avons eu un rendez-vous avec une assistante sociale : on lui a parlé des moisissures de notre logement. On a expliqué notre projet de vie. Le quartier nous était familier et on l’appréciait. »
Exprimer ses désirs, pouvoir évoquer son parcours et sa situation de vive voix, c’est l’un des atouts de la location active. À Voiron (38), depuis 2 ans, le locataire est acteur de sa démarche et participe à la recherche de son logement. « Si l’on choisit l’endroit où l’on vit, on est tout de suite impliqué et le regard sur le quartier n’est pas du tout le même. Outre la pleine satisfaction du locataire, on favorise ainsi le vivre-ensemble et l’on évite la discrimination », note Isabelle Rueff, présidente de l’association Absise, à l’initiative de la location active dans le Voironnais. En 14 mois, 112 logements ont été attribués. Le taux de refus a chuté de 27 à 7 % et les délais d’attribution ont été divisés par deux. Et 25 % des postulants à la location active n’ont jamais eu de numéro unique. « Aujourd’hui, notre objectif, avec l’Opac 38, c’est d’opérer plus massivement en Isère. Il faut continuer d’agir au niveau de l’intercommunalité avec plusieurs bailleurs ». Des journées “portes ouvertes” sont désormais organisées pendant lesquelles une vingtaine de logements sont proposés à la location active dans un grand ensemble. De telles entrées groupées ont un réel effet sur la mixité et le vivre-ensemble. « Au début, un logement sur quatre était mis en location active, l’objectif est de parvenir à un logement sur deux. Non seulement nous avons réduit la vacance, mais nous avons aussi ouvert le logement social à un public élargi, surtout aux jeunes. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les ménages précaires ont accès à Internet et postulent aussi. »
Valeur républicaine
Dans la résidence “Bel Horizon”, les 12 logements sociaux, dont celui de Déborah, sont intégrés dans un ensemble où résident aussi cinquante propriétaires : « Il n’y a pas de différence entre locataires et propriétaires, on a le même comportement », note Déborah. Quant à la mixité, elle est visible au sein des locataires où plusieurs nationalités partagent le même bâtiment. Mais aussi parce que « il y a des couples avec enfants, des familles monoparentales et aussi une personne seule de plus de 50 ans », précise Déborah. « Pour nous, ce système d’attribution va sans aucun doute remplacer la filière actuelle. Nous utiliserons le système de cotation quand plusieurs demandes seront recensées pour un même logement. C’est une aide à la décision », complète Isabelle Rueff.
Location active et système de cotation sont évoqués dans le projet de loi “Égalité et Citoyenneté” qui veut à la fois rendre plus transparente l’attribution des logements sociaux, éviter “l’apartheid social et territorial” dénoncé par le Premier ministre en janvier 2015 et obliger les communes récalcitrantes à construire désormais 25 % de logements sociaux. La loi sera votée à l’automne.
L’intention politique est bien de réaffirmer le rôle du logement social dans sa mission visant à favoriser la mixité et loger les plus modestes. Aux côtés des bailleurs, le maire et les intercommunalités seront aux premières loges. Acteurs incontournables de l’urbanisme et du peuplement à l’échelon local, certains élus ont bel et bien la volonté de bâtir une ville pour tous, où le choix et le parcours résidentiel des habitants sont des priorités. Mais il reste encore des dizaines de récalcitrants… et les moyens financiers manquent pour permettre de construire à la hauteur des besoins. Symbole de solidarité et d’équité dans la Cité, le logement social a besoin d’être défendu pour remplir pleinement son rôle aujourd’hui. À l’État d’en être garant.
Un logement social est construit avec l’aide financière de l’État. Il appartient aux organismes Hlm (offices publics d’Hlm, sociétés anonymes, coopératives d’Hlm) ou gérés par eux. Ses loyers sont inférieurs à ceux du secteur privé et sont attribués aux ménages dont les ressources n’excèdent pas certains plafonds.
On distingue :
PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration) : logements destinés aux ménages les plus démunis.
PLUS (Prêt locatif à usage social) : destiné aux catégories modestes.
PLS (Prêt locatif social) : pour les ménages les plus aisés parmi ceux pouvant prétendre au logement social.
Il existe aussi des PLI (Prêt locatif intermédiaire) destinés aux classes moyennes, dont les revenus sont supérieurs à ceux du PLS.
L’attribution
Pour chaque logement, la loi oblige le bailleur social à présenter trois dossiers de candidats. L’un des trois sera choisi lors d’une commission d’attribution des logements (CAL) du bailleur social. La cotation (ou “scoring”) sélectionne les demandeurs de logement dont la composition familiale et les ressources correspondent à un logement social disponible au regard de différents critères.
Témoignage
Nathalie Appéré, maire de Rennes et présidente d’“Archipel Habitat”, office public de l’habitat de Rennes métropole.
Comment l’agglomération de Rennes réussit-elle à répondre aux 14 000 demandes de logement social annuelles ?
Notre politique s’appuie sur 4 piliers : d’abord, un niveau de production de logements élevé (37 500 entre 2005 et 2014 dont près de 50 % de logements aidés). Ensuite, une maîtrise des loyers des opérations neuves (notamment la production de 25 % de logements sociaux PLUS/PLAI dont 30 % de logements très sociaux dans l’offre neuve de toute l’agglomération). Aussi, un système qui ordonnance depuis 2003 la demande par priorités pour éviter les attributions automatiques et garantir l’équité d’accès. Enfin, une contractualisation avec les communes et les opérateurs du logement social permet une meilleure répartition territoriale de l’offre locative sociale.
Que comptez-vous faire pour favoriser plus encore la mixité sociale ?
La mise en oeuvre du droit au logement n’est pas homogène sur le territoire. Il y a des déséquilibres de peuplement, avec des concentrations de situations de précarité sur des quartiers, tandis que d’autres communes peinent à satisfaire la demande la plus précaire. Notre objectif, c’est de lutter contre les phénomènes de ségrégation spatiale. Aujourd’hui, les personnes aux plus faibles ressources sont logées aux plus bas loyers, concentrés sur les parcs les moins attractifs et dans les quartiers prioritaires de la ville. Pour rétablir une égale accessibilité, nous travaillons collectivement à la mise en place sur toute l’agglomération d’un loyer unique par typologie de logement avec nos partenaires, dont les bailleurs sociaux.
Quels sont les défis de Rennes aujourd’hui ?
Les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville sont une priorité, et encore davantage les quartiers d’intérêt national du nouveau programme de renouvellement urbain. Ces derniers se situent au coeur de la ville-centre de Rennes. Aujourd’hui, il y a dans ces quartiers une stricte superposition entre bas loyers et faibles ressources de la population. Ces bas loyers assignent les habitants à résidence dans certains immeubles de certains quartiers. Nous travaillons avec l’ANRU sur un programme d’investissement de 400 millions d’euros sur 10 ans pour le renouvellement urbain de ces quartiers. Mais tous nos efforts y seront vains si la population décroche et si nous manquons la cible de la mixité. D’où notre volonté de mener de front ce chantier et l’expérimentation d’une nouvelle politique des loyers.